2.2 Les stratégies de lutte

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2.2.1 Lutte physique

· Impact sur l'environnement

La mise en oeuvre de procédés thermiques nécessite généralement des quantités d'énergie considérables pour tuer les organismes nuisibles par induction de chaleur (brûlage, production de vapeur ou d'eau chaude). L'impact de la production d'énergie sur l'environnement est à prendre en compte (cf. dossiers sur l'environnement "Planification du secteur énergétique" et "Energies renouvelables"). Comme son nom l'indique, la solarisation est un procédé utilisant l'énergie solaire ; mais il nécessite aussi l'emploi de films en plastique, généralement en polyéthylène, servant à recouvrir la parcelle ou les interlignes culturaux pour produire un effet de serre. Dans un grand nombre de pays, l'élimination de ces films ne s'effectue pas encore dans des conditions satisfaisantes. De plus, les procédés thermiques n'agissent pas de façon sélective sur la biocénose, de sorte que les populations de la microflore et de la microfaune doivent se reconstituer et qu'un équilibre doit être restauré à l'intérieur du vide biologique laissé dans un sol généralement pasteurisé ou stérilisé. Parmi les procédés mécaniques de lutte contre les adventices, le travail du sol modifie l'érodibilité des sols, fait dont il faut particulièrement tenir compte sur les terrains en pente. Les organes des plantes risquent au surplus de subir des lésions favorisant la contamination par les virus et parasites secondaires transmissibles par voie mécanique. Les procédés thermiques et mécaniques accélèrent par ailleurs la mobilisation des éléments nutritifs de la matière organique. Cette minéralisation de l'humus, qui s'accompagne d'une destruction de complexes argilo-humiques et d'une dégradation de la structure du sol, dégrade la fertilité des sols. Les nutriments risquent en outre d'être lessivés ou exportés vers d'autres écosystèmes. La submersion des champs pour éliminer les parasites terricoles a des répercussions massives, quoique brèves, sur les facteurs biotiques et abiotiques des horizons du sol et elle perturbe la structure du sol et la dynamique des éléments nutritifs. En résumé, il s'agit de méthodes à haute intensité de travail et d'une efficacité réduite dans le temps et l'espace pour lutter contre les organismes nuisibles. Leur emploi peut être limité par le manque de main-d'oeuvre et pour des motifs économiques.

· Mesures de protection de l'environnement

Les dates, le lieu et l'intensité des traitements thermiques et mécaniques doivent être fixés de façon à en tirer une efficacité maximum tout en ménageant les organismes utiles. Lors d'un traitement mécanique, on s'efforcera de préserver à la végétation sa fonction protectrice vis-à-vis de la structure du sol et des organismes vivant dans le sol. En recouvrant le sol de matériel végétal coupé (paillis ou "mulch"), on peut, par exemple, combattre à la fois les mauvaises herbes et l'érosion. La mise en oeuvre des méthodes mécaniques peut être encouragée par le développement de procédés plus efficaces et nécessitant moins de main-d'oeuvre. En les substituant peu à peu aux autres méthodes de lutte, on évite les inconvénients de ces dernières.

2.2.2 Lutte chimique

· Impact sur l'environnement

Les effets de la lutte chimique sur l'environnement peuvent être classés schématiquement en trois catégories qui se recoupent partiellement:

  1. intoxications aiguës et chroniques ;
  2. accumulation de produits phytosanitaires et de leurs produits de transformation dans les denrées récoltées, le sol, l'eau et l'air ;
  3. interventions dans le système (biocénose).

a) La classification des pesticides chimiques suivant leur cible (herbicides - plantes, fongicides - champignons, insecticides - insectes, etc.) pourrait laisser croire que leur toxicité se limite à ce groupe cible. Or, la plupart de ces produits ont un large spectre d'action et exercent une action létale ou inhibitrice sur les organismes vivants, car ils interviennent dans des processus métaboliques vitaux (photosynthèse, formation d'ATP [adénosine-triphosphate], constitution et fonctions des membranes, etc.). La toxicité des produits phytosanitaires est donc en quelque sorte le revers de leur efficacité. Selon l'Organisation Mondiale de la Santé (OMS), les cas d'intoxication de personnes par les pesticides se chiffrent chaque année à 1,5 millions, dont 28 000 ont une issue fatale [54] A côté de la ou des matières actives, les pesticides contiennent des adjuvants destinés notamment à accroître la mouillabilité ou la ténacité de la matière active sur les surfaces traitées. D'après les études menées par l'USEPA (agence américaine de protection de l'environnement), sur 1 200 adjuvants analysés, 50 faisaient partie des substances toxiques [24].

Les produits de qualité médiocre, que l'on rencontre souvent dans les pays aux législations laxistes en matière d'homologation, font courir de nombreux risques [68]. Vieillissement des produits, contamination, formulations très imparfaites et concentrations de matière active non conformes aux déclarations font partie des problèmes les plus fréquemment posés par ces produits.

Le stockage et le transport des produits phytosanitaires peuvent aussi être à l'origine de la pollution du sol, de l'eau et de l'atmosphère. Il faut incriminer ici les emballages non étanches et de trop grande contenance, qui sont la source de problèmes récurrents.

Un risque de contamination des denrées alimentaires existe par ailleurs lorsque pesticides et produits alimentaires ne sont pas stockés et vendus séparément, ce qui est encore souvent le cas dans certains pays.

On n'a pas encore trouvé de réponse définitive à la question de l'élimination rationnelle des pesticides, qui continue donc à se poser avec d'autant plus d'acuité que la plupart des produits commencent à se dégrader au bout d'un laps de temps très court (moins de deux ans pour de nombreux produits). Des "bombes à retardement" sont entreposées dans un grand nombre de pays, parfois en quantités considérables, concentrées sur des superficies d'à peine quelques mètres carrés.

L'information et la formation préliminaire insuffisantes des commerçants et des paysans sont responsables de l'emploi incorrect des pesticides (confusion entre les produits, mauvais dosages, non observation des périodes de carence, etc.).

- L'utilisation incorrecte peut également provenir du mauvais marquage des emballages (pictogrammes, inscriptions rédigées dans une langue étrangère). Il arrive souvent que les produits phytosanitaires soient transvasés dans des emballages pour produits alimentaires (bouteilles de jus de fruit, sachets) par les détaillants locaux. Inversement, les récipients de pesticides sont fréquemment réutilisés par le consommateur.
- Selon la technique d'application et les conditions atmosphériques, l'utilisateur, les membres de la famille aidant aux travaux, notamment les enfants et les voisins, peuvent être victimes d'intoxications. Il est pratiquement impossible de se procurer des vêtements protecteurs adaptés aux conditions tropicales. Lors des traitements aériens, les pesticides risquent tout particulièrement de dériver jusqu'aux lieux d'habitation, cultures voisines, pâturages, cours d'eau, etc.
- Un emploi rationnel de produits phytosanitaires suppose l'achat de produits au fur et à mesure des besoins et oblige à recourir à des techniques de stockage et d'application plus sophistiquées. Il s'agit donc d'un procédé exigeant des capitaux.

b) Il existe un risque de contamination des produits de récolte, produits alimentaires et fourragers par les matières actives et les résidus de pesticides, de même qu'un risque de concentration de ces produits, qui seraient néfastes à la santé humaine et animale [surtout en cas d'emploi incorrect (voir plus haut) suite à un mauvais dosage, à la non observation des périodes de carence, etc.]. Il est arrivé, par exemple, que des hydrocarbures chlorés appliqués sur des cultures de légumes-racines se soient trouvés concentrés dans le produit de récolte et aient été ingérés sous forme d'aliments pour bébé par des enfants en bas âge ; ceci a entraîné l'interdiction d'utiliser des hydrocarbures chlorés dans les cultures légumières.

- Contamination du sol, de l'air et de l'eau par les matières actives des pesticides et par leurs produits de transformation: plus de la moitié des pesticides appliqués par pulvérisation sont dispersés directement dans l'atmosphère et transportés sur des distances souvent considérables sous forme d'aérosol, avant de retomber dans le sol et l'eau avec les précipitations. Une grande partie des produits restants contamine directement le sol et l'eau. Sous un climat tropical, le risque de voir les substances actives passer en phase gazeuse est élevé, ce qui rend les pesticides à pression de vaporisation élevée impropres à une utilisation en région tropicale. La non observation des aspects écologiques ou toxicologiques peut être une source de problèmes dans les cultures suivantes et conduire à des restrictions de production suite à la contamination d'un site (application de produits à base de cuivre dans les bananeraies par exemple). Un risque de lessivage des produits agropharmaceutiques et de leurs résidus dans la nappe phréatique existe dans les sols à faible capacité de rétention, tels que les sols sablonneux. Leur persistance peut augmenter à plus grande profondeur, notamment à cause d'une diminution de l'activité microbienne.

c) En raison de leur large spectre d'action, la plupart des produits phytosanitaires et de leurs produits de transformation ont de multiples incidences, directes et indirectes, sur les composantes biotiques et abiotiques des écosystèmes, même situés très loin du lieu d'application. Les effets indirects, en particulier, sont pratiquement impossibles à prévoir ; des effets imprévisibles "en cascade" peuvent se manifester au sein d'un écosystème. Pimentel [61] évalue à 500 millions de dollars US les dommages infligés annuellement à la biocénose par l'emploi de pesticides chimiques en Amérique du Nord. Bien plus de la moitié de ces coûts sont occasionnés par la réduction des populations d'auxiliaires utiles et l'apparition de phénomènes de résistance aux pesticides.

Plusieurs exemples peuvent être cités dans ce contexte: ainsi l'élimination des insectes pollinisateurs et autres organismes utiles (facteurs limitants naturels) entraîne la disparition d'éléments de régulation et de contrôle au sein du système. L'emploi d'insecticides en riziculture aquatique (irriguée) met en péril les poissons et l'entomofaune, ce qui dénote une incompatibilité entre aquaculture et emploi de pesticides. Les opérations de désinfection du sol au bromure de méthyle compromettent l'activité biologique des lombrics et des nitrobactéries.

Les populations d'organismes utiles sont indirectement menacées lorsque la densité de population d'un nuisible, qui est en même temps la proie principale de certains utiles, est réduite de maniére drastique par des traitements insecticides: en décimant une espèce, on court le risque d'affaiblir le lien du nuisible avec sa biocénose, avec pour conséquences possibles un accroissement du taux de reproduction et une multiplication massive de l'organisme indésirable. Un exemple: l'utilisation d'insecticides à large spectre d'action contre le psylle du pommier a fait de l'araignée rouge des arbres fruitiers un véritable problème phytosanitaire, car les pesticides ne sont pas suffisamment efficaces contre ce ravageur et anéantissent en même temps les insectes utiles.

Les produits phytosanitaires peuvent accroître la sensibilité d'une espèce à un groupe de nuisibles non touché par le pesticide employé (c'est ainsi que les traitements herbicides à la triazine ou aux urées substituées dans des cultures céréalières recevant de fortes doses d'engrais peuvent rendre la plante vulnérable à l'oïdium).

La composition des espèces peut être altérée durablement: certaines espèces ne sont pas atteintes ou développent une résistance contre les produits appliqués (l'utilisation systématique d'atrazine dans le maïs favorise l'envahissement par les millets, et l'emploi exclusif de substances de croissance dans les cultures céréalières favorise l'apparition de graminées). L'action des insecticides peut s'exercer également au détriment des insectes pollinisateurs. Le carbaryl utilisé contre la cicadelle du manguier a mis les abeilles (sauvages) à miel en danger, quand il ne les a pas tuées, ce qui a eu pour effet d'amoindrir les recettes que les petits exploitants tiraient jusqu'ici du miel et de la cire d'abeille [32].

Il a été démontré que plus de 400 espèces d'arthropodes, dont la moitié sont des ennemis des végétaux, présentaient une résistance à une ou plusieurs matières actives [10] (par exemple résistance du charançon de la capsule au DDT et à d'autres organo-chlorés).

· Mesures de protection de l'environnement

Dans les pays comme la République fédérale d'Allemagne, dotés d'une législation sévère concernant la distribution et l'utilisation de produits phytosanitaires, seuls les produits ayant subi la procédure d'homologation peuvent être recommandés et employés. Cette procédure donne lieu à une information sur les propriétés toxicologiques, cancérigènes, tératogènes, etc. du produit de même que sur ses effets et dangers potentiels pour l'équilibre du milieu naturel. Les matières actives sont classées suivant leur degré de toxicité. Par ailleurs, des déclarations sont faites sur les domaines d'utilisation, les moyens d'élimination sans risque du produit ainsi que les méthodes d'analyse et les filières de dégradation des produits de transformation. Dans le Code de conduite qu'elle a adopté en 1985, la FAO émet des recommandations sur l'homologation, la distribution et l'utilisation des pesticides. Dans des pays aux législations sévères comme les Etats-Unis, nombreux sont les produits agropharmaceutiques relativement dangereux à avoir été retirés de la circulation (interdiction d'emploi) et/ou à avoir été frappés de restrictions concernant les dates et les lieux d'application.

Les raisons s'opposant à l'emploi de certains produits concernent généralement les pays industrialisés [30]. Les produits persistants, à large spectre d'action, sont expressément proscrits sur le plan international: la liste des "dirty dozen" contient entre-temps les 15 matières actives figurant ci-dessous, qui devraient être interdites d'emploi en raison des dangers considérables qu'elles font courir:

· Insecticides

Organo-halogénés ou -chlorés: aldrine, chlordane, DDT, dieldrine, endrine, HCH (hexachloro-cyclohexane contenant moins de 99,0 % d'isomère gamma), heptachlore, lindane, chlorocamphène

Carbamates: aldicarbe (nom commercial: Temik)
Organo-phosphorés: parathion (E 605)
Insecticides divers: dibromure de chloropropane (DBCP), chlordiméforme, penthachlore-phénol (PCP).

· Herbicides
2,4,5-T (nom commercial: Weedone)

Les produits de lutte antiparasitaire doivent mentionner le contenu, les précautions d'emploi, le mode d'utilisation autorisé et les traitements recommandés en cas d'empoisonnement. Les inscriptions doivent être suffisamment intelligibles pour les groupes de population exposés. Une notice rédigée en anglais et dans au moins une langue vernaculaire de même qu'un pictogramme figurant sur des étiquettes adhérant bien à l'emballage sont actuellement revendiqués. C'est le degré d'alphabétisation et de sensibilisation des utilisateurs aux dangers encourus qui doit guider la décision d'autoriser ou non le produit à la vente.

En cas de recours aux méthodes chimiques de lutte contre les organismes nuisibles, des mesures de protection doivent être fixées et introduites. Ces exigences minimales doivent garantir tout d'abord le choix pertinent du produit, la sécurité et le fonctionnement de la technique d'application et l'élimination des résidus et emballages de pesticides selon des techniques non polluantes.

Des programmes de formation conformes à ces exigences devraient être adoptés par les organisations nationales de la protection des végétaux, afin d'informer en détail les vulgarisateurs et les utilisateurs de même que toutes les personnes en contact avec les pesticides sur les risques de ces produits. Il conviendrait de développer des réglementations applicables à l'échelon international pour fixer les conditions préalables à la distribution et à l'utilisation de pesticides, le respect de ces dispositions devant être contrôlé par une instance supérieure.

La préférence doit être accordée aux produits faiblement toxiques, à action sélective et de faible persistance. Les critères à prendre en compte pour l'homologation et l'application sont les effets du produit, les possibilités d'emploi abusif, les particularités régionales, les zones de protection des eaux et les aires protégées sur le plan écologique. L'utilisation de semences désinfectées comme denrées alimentaires ou comme aliments pour le bétail doit être empêché grâce à un étiquetage correct. Par ailleurs, l'emploi d'emballages de pesticides à des fins domestiques doit être empêché par l'information, l'étiquetage et au besoin la forme des récipients. Les produits phytosanitaires devraient uniquement être délivrés dans des récipients de petite contenance. Enfin, en variant la matière active, on peut prévenir l'apparition de phénomènes de résistance chez les organismes nuisibles.

Le problème du piratage des pesticides par des firmes qui produisent et écoulent les produits sans autorisation se pose dans de nombreux pays et souligne l'importance d'une législation phytosanitaire rigoureuse et efficace (procédure d'homologation) et de contrôles vigilants des importations (au besoin par un certificat de conformité concernant la pureté et les éventuelles défectuosités). En outre, l'accès aux produits phytosanitaires peut être réglementé par divers moyens: obligation de ne délivrer les produits que sur ordonnance, de justifier de connaissances techniques et de fournir la preuve que les pesticides seront utilisés dans le cadre de la lutte intégrée.

L'octroi de subventions sur les produits phytosanitaires par les pouvoirs publics, qui constitue une pratique courante dans de nombreux pays, crée un risque d'emploi non conforme ou abusif et de pollution de l'environnement [42]. Il faut donc contrôler si les mesures de promotion atteignent bien le groupe cible et si l'emploi et l'élimination des produits ne se font pas dans des conditions dommageables à l'environnement.

2.2.3 Lutte biotechnique

· Effets sur l'environnement

Un stimulus destiné à attirer les organismes nuisibles ou un poison servant à tuer le ravageur peuvent agir de manière non spécifique et atteindre d'autres organismes (cf. effets sur l'environnement, point 2.2.2). Ainsi, les pièges lumineux agissent contre la plupart des insectes volants nocturnes. De même, les émissions sonores ayant un effet répulsif sur les oiseaux nuisibles agissent indifféremment à l'encontre d'autres organismes, dont elles peuvent perturber le mode de vie (nidification, accouplement, élevage des oisillons). Il a été démontré que l'emploi répété de dérégulateurs de croissance (hormones) induisait des phénomènes de résistance chez les organismes cibles. De plus, ce groupe d'insecticides est susceptible de nuire aux organismes utiles, par exemple en inhibant la mue des larves d'abeilles et d'autres insectes ingérant du pollen ou toute autre substance contaminée.

· Mesures de protection de l'environnement

Les méthodes biotechniques à action non spécifique sont à éviter (par exemple pièges lumineux agissant sur tous les insectes nocturnes). Les stimuli sonores doivent être employés dans la lutte rapprochée, c'est-à-dire en délimitant nettement la date et le lieu où ils sont utilisés. Quant aux dérégulateurs de croissance, la date et la technique d'utilisation doivent être choisies de façon à ne pas perturber ou à ne perturber que de façon négligeable les organismes utiles ; le cas échéant, on optera pour l'emploi combiné de substances attractives et d'insecticides. Enfin, le choix du produit permet d'empêcher l'apparition de phénomènes de résistance.

2.2.4 Lutte biologique

· Impact sur l'environnement

Même si les relations entre organismes utiles et hôtes se caractérisent par une spécificité très poussée qui limite les effets indésirables, les procédés biologiques n'en recèlent pas moins certains risques pour le milieu naturel: l'introduction de prédateurs, de parasites, d'agents pathogènes et d'organismes manipulés génétiquement est susceptible de refouler et de porter atteinte à d'autres espèces utiles, voire de modifier en profondeur et de façon incontrôlée la biocénose en intervenant dans la dynamique inhérente aux processus biologiques. La lutte biologique menée contre le scolyte du grain de café par l'introduction du champignon Beauveria bassiana peut compromettre la sériciculture implantée dans la zone de culture du café, car ce champignon parasite également le ver à soie (Bombyx mori).

On a connaissance d'un autre cas dans lequel une espèce de crapaud allochtone acclimatée pour lutter contre les insectes ravageurs de la canne à sucre a changé de source alimentaire, devenant elle-même un fléau difficile à contrôler.

La résistance des plantes aux virus pathogènes, obtenue artificiellement par infection au moyen de souches peu virulentes du même virus ou d'un virus analogue, peut entraîner la mutation du virus ou, en présence d'autres virus, induire des effets synergiques indésirables.

· Mesures de protection de l'environnement

Toute activité dans le domaine de la lutte biologique, particulièrement dans celui des techniques génétiques, doit être réglementée par le législateur et être soumise à des contrôles pour éviter tout risque de pollution de l'environnement.

Le développement des procédés génétiques, dont on peut prévoir ou dont on sait déjà qu'ils risquent de déclencher des processus biologiques incontrôlés devrait être empêché par une réglementation correspondante (cf. risques liés aux agents biologiques décrits dans le dossier "Analyse, diagnostic et test"). Les programmes de lutte biologique contre les organismes nuisibles doivent être systématiquement soumis à un contrôle efficace de la part de l'Etat. Des organisations chargées d'inspecter les végétaux et produits végétaux et de prévenir l'introduction de prédateurs et de parasites (quarantaine) doivent être mises en place.

2.2.5 Lutte intégrée

· Impact sur l'environnement

Suivant la façon dont elles sont combinées, les mesures phytosanitaires réalisées au moyen des différents procédés de lutte décrits ci-dessus induisent des effets environnementaux analogues au plan qualitatif, bien que l'impact quantitatif soit infiniment plus faible. Les stratégies reposant sur le principe du seuil de nuisibilité doivent être perfectionnées en tenant compte de leur faisabilité pratique. Certaines stratégies présentent un risque d'induction de résistance chez les organismes indésirables en cas d'application fréquente de produits phytosanitaires faiblement dosés en matière active. La mise en oeuvre répétée de mesures phytosanitaires, qui suppose que les sites soient carrossables toute l'année, risque de dégrader la structure des sols, par exemple par compactage des sols par temps de pluie. L'emploi de véhicules légers est souvent le seul remède ; son inconvénient est d'exiger de lourds investissements.

· Mesures de protection de l'environnement

Pour les procédés intégrés se composant de mesures empruntées aux quatre stratégies de lutte précitées, ce qui a été dit plus haut s'applique conformément à la combinaison choisie.

3. Aspects à inclure dans l'analyse et l'évaluation de l'impact sur l'environnement

Les mesures de protection des végétaux interviennent de multiple façon dans l'environnement. Comme il n'existe pas de stratégies universellement applicables, les procédés sont évalués en comparant leurs retombées sur l'environnement. Pour évaluer les avantages comparatifs des divers procédés de lutte, il est nécessaire d'introduire une échelle d'appréciation ; à cet effet, on nécessite des indicateurs reflétant avec un maximum de précision et de comparabilité les incidences qualitatives et quantitatives, notamment du point de vue de leur persistance (cf. dossier sur la production végétale). Les propriétés physiques et chimiques (rémanence, capacité d'évaporation, adsorption et désorption, etc.) des matières actives, des adjuvants et des produits de transformation des produits phytosanitaires sont analysées. Pour déterminer les propriétés toxiques de ces produits et de leurs résidus (valeurs des DL 50 aiguës des produits formulés) ainsi que leur toxicité chronique (no effect level, ADI - acceptable daily intact values, concentrations maximales autorisées, niveau admissible), on se sert de valeurs reproductibles dotées d'un coefficient de sécurité. Elles servent d'indicateur ou de valeur limite et doivent être comparées avec les valeurs effectives de contamination des produits alimentaires et des aliments pour bétail, de la faune et de la flore, du sol, de l'eau et de l'atmosphère. Le seul moyen de déterminer les effets synergiques et cumulés des produits phytosanitaires est l'étude des corrélations entre les différents effets sur l'environnement (par exemple disparition progressive d'espèces particulièrement fragiles, recours aux plantes indicatrices, études de diversité, etc.). Ces corrélations ne sont pas entièrement connues ; étant en partie masquées par d'autres interventions, elles ne sont, bien souvent, pas uniquement imputables aux actions phytosanitaires.

Les observations faites à la suite des traitements (par exemple déprédation des ressources ou conséquences socialement inacceptables) fournissent des indications sur des critères d'évaluation complémentaires.

En cas d'effet nocif, il convient d'examiner si celui-ci peut être réparé à un coût acceptable. Les risques de dommages irréversibles doivent être inventoriés à part et être évalués en conséquence. Enfin, les méthodes de protection des végétaux ont une incidence sur la structure de l'emploi (par exemple division du travail entre hommes et femmes, charge de travail et besoin en capital). D'autres critères d'évaluation peuvent être tirés des effets sur la structure de l'entreprise et la production.

4. Interactions avec d'autres domaines d'intervention

La protection des végétaux s'inscrivant dans le contexte de la production végétale, elle est subordonnée aux objectifs de celle-ci (cf. dossier sur la production végétale). De plus, les mesures phytosanitaires touchent aux domaines d'intervention ci-dessous du point de vue de leurs finalités et de leurs effets sur l'environnement:

- production animale (aliments pour le bétail, contrôle de qualité) ;
- pêche (protection des eaux) ;
- agro-industrie (normes de qualité) ;
- santé et alimentation, y compris approvisionnement en eau potable (toxicologie, résidus) ;
- analyse, diagnostic et test (contrôle de qualité, développement, secteur analytique) ;
- industrie chimique (production de pesticides de synthèse).

Il en découle que les décisions concernant le domaine de la protection des végétaux peuvent être influencées par les actions dans ces secteurs. Les missions d'instruction de projet examineront les possibilités de cumul d'effets émanant des divers volets d'intervention et les risques consécutifs d'amplification des dommages.

5. Appréciation récapitulative de l'impact sur l'environnement

Les mesures de protection phytosanitaire doivent fondamentalement être considérées dans le contexte plus vaste des objectifs de la production végétale, des conditions spécifiques du site et des conditions économiques et socio-économiques. L'impact de la protection des végétaux peut prendre la forme de pollutions et de nuisances physiques et énergétiques pour l'homme, la faune, la flore, les denrées alimentaires et les aliments pour le bétail, le sol, l'air et l'eau. La lutte contre les organismes nuisibles agit sur la diversité et la densité de population des espèces et constitue une intervention dans un système (biocénose).

Un vaste choix de méthodes s'offre à nous pour protéger la production végétale. L'analyse et l'évaluation de leurs effets respectifs sur l'environnement doivent permettre de choisir les procédés les moins préjudiciables au milieu naturel et d'éviter ainsi les effets indésirables ou inacceptables.

Les stratégies de lutte respectueuses de l'environnement ont pour caractéristique de favoriser et d'utiliser de manière ciblée les facteurs limitants naturels spécifiques à l'écosystème et de leur adjoindre d'autres mesures puisées dans l'éventail des procédés physiques, chimiques, biotechniques et biologiques.


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